Nous sommes généalogistes successoraux. Nous recherchons des héritiers inconnus pour leur transmettre souvent bien plus qu’un héritage : une partie de leur histoire ! « Histoires en héritage », vous invite à découvrir les destins hors du commun de ces hommes et de ces femmes dont la vie a été partiellement révélée après leur mort.


Dans « le harki », Damien GÉRARD, directeur associé de notre succursale du Mans nous fait voyager en Algérie sur les traces d’Abdel.

Une histoire touchante, révélant non seulement la vie d’une famille brisée par la guerre, mais aussi la complexité des émotions liées à la transmission d’un patrimoine et d’une histoire personnelle.

Voir l’épisode :

Retrouvez également « Histoires en héritage » en Podcast sur la plateforme de votre choix.

La vie fait que parfois il y a des parties importantes de notre histoire qui nous échappent, et le généalogiste est cette personne qui va compléter le puzzle.

Tout commence à Angers, chez un notaire qui m’appelle pour me confier un nouveau dossier. Abdel vient de décéder, il a 91 ans, et là le notaire découvre qu’il n’a pas laissé de testament. Mon rôle est de retrouver les héritiers d’Abdel, héritiers qui ont vocation à recevoir son patrimoine.

Il avait juste un compte bancaire avec 30.000€ dessus. Le notaire m’explique qu’Abdel est un Harki qui a combattu au côté de l’armée française pendant la guerre d’Algérie. À la fin de la guerre avec la victoire des indépendantistes, il est contraint de s’exiler pour aller en France, abandonnant derrière lui les siens, une famille qu’il ne reverra jamais.

Le notaire me remet l’acte de naissance d’Abdel, où je vois qu’Abdel a été marié en Algérie, mais on ne connaît aucun héritier. Alors un généalogiste pour travailler, va utiliser des sources objectives, l’état civil essentiellement, mais il accorde aussi beaucoup d’importance aux témoignages. J’échange avec les amis d’Abdel qui me donnent à la fin de de notre entrevue, quelques photos. Ils me donnent également un peigne qu’il avait oublié au bistrot, un peigne qui était précieux, qu’il avait toujours sur lui, et ils me disent : « Bah faudra le donner à ses héritiers parce que c’est quelque chose qui était cher à Abdel. »

Alors très rapidement, je me rends compte que les recherches généalogiques ne vont pas se passer en France, elles vont se dérouler à l’étranger, et là de l’autre côté de la Méditerranée en Algérie.

J’ai déjà travaillé sur le secteur avec un collègue qui est sur place, et que je vais appeler, qui va m’orienter sur les premières recherches.

Très rapidement il me dit qu’il a retrouvé trace de l’épouse d’Abdel, une épouse qui est décédée en 1983. Il m’annonce aussi que cette femme n’a jamais refait sa vie. Elle est restée célibataire, mais elle a eu deux enfants avec Abdel, une fille Fatima qui avait 4 ans lorsqu’il est parti, et un petit garçon Amar qui n’était pas encore né lorsqu’il est parti. Sa femme était enceinte de 5 mois.

Je découvre à l’occasion de la recherche qu’il n’a jamais connu son fils. Il ne sait peut-être même pas qu’il a eu un fils. L’histoire est triste déjà.

Mon rôle va être de retrouver ces deux enfants qui ont respectivement 60ans et 64ans.

Où sont Fatima et Amar ?

Mon correspondant fait le travail et il les retrouve à 200 km au sud d’Alger. Alors on n’a pas d’adresse exacte, on a une commune. Il y a quand même une émotion pour moi, il y a toujours une appréhension à aller annoncer une telle nouvelle.

On va à la mosquée du village, la mosquée de la commune et on attend la sortie de la prière. On commence à parler avec les uns, les autres, on retrouve un cousin éloigné qui va nous donner d’autres renseignements. On rebondit sur une autre personne qui va finir par nous donner l’adresse de Fatima. Je sais où Fatima habite, elle habite à 15 km dans la colline à côté du village. Nous voilà parti sur des chemins. On n’est pas sur la route, on est à la campagne. J’arrive dans la maison, une maison simple. Fatima est assise au milieu de la pièce, deux de ses enfants sont là, son mari vient s’asseoir à ses côtés et je commence à lui expliquer la raison de mon intervention et tout de suite elle se pétrifie.

Je vois qu’elle est figée, on sent qu’il y a une énorme émotion quand je lui évoque son papa, et elle va m’expliquer que toute sa vie, notamment lorsque sa maman était en vie, avec son frère ils ont cherché à retrouver leur père. Alors c’est un moment extrêmement émouvant, moi je suis un peu happé par les sentiments de cette personne. Elle me raconte aussi sa vie de fille de Harki, et notamment elle me raconte, sur la cour de récréation, les insultes qu’elle essuyait de ses camarades, que sa vie a été compliquée parce que son papa n’était pas un papa comme les autres. C’est un papa qui avait trahi son pays et qui avait dû partir en France.

Sa peur, c’était que sa famille soit malmenée par son retour en Algérie, et qu’il l’a toujours fait par amour de sa famille.

À un moment je lui donne les photos que ses amis m’ont donné au bistrot. Je lui donne le peigne et là elle s’effondre en pleure, moi j’ai la gorge serrée, je suis dans l’émotion c’est difficile.

Je ressors de ce dossier un peu bouleversé parce que je réalise que dans mon métier de généalogiste on vient transmettre un patrimoine, mais on ne fait pas que ça. On va transmettre une histoire aussi, on va recoller aussi parfois les bouts d’une histoire, d’une trajectoire familiale qui a été compliquée, et là en l’espèce, c’est une trajectoire qui a explosé par cette grande histoire qui s’est invitée dans la petite histoire. Cette guerre d’Algérie qui a tout changé de cette famille, qui a séparé un père de ses enfants, et c’est une histoire triste donc on la vit avec de l’émotion cette histoire.