Nous sommes généalogistes successoraux. Nous recherchons des héritiers inconnus pour leur transmettre souvent bien plus qu’un héritage : une partie de leur histoire ! « Histoires en héritage », vous invite à découvrir les destins hors du commun de ces hommes et de ces femmes dont la vie a été partiellement révélée après leur mort.
Dans « Lucien, l’inconnu », Olivier CAPDEVILLE, directeur adjoint chez Coutot-Roehrig Grenoble, revient sur un dossier fort en émotion, celui de Marie-Louise.
Cette histoire poignante illustre une profonde humanité et une générosité rare dans le processus de succession.
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Ce dossier démarre un jour d’automne où un notaire de Valence dans la Drôme, m’appelle et m’informe du décès de Marie-Louise à l’aube de ses 100ans.
Elle a un petit patrimoine composé d’une maison au milieu d’une zone industrielle, et de quelques liquidités, et d’après lui elle est sans héritiers connus.
Mon rôle à ce moment-là est de retrouver les héritiers les plus proches. On apprend très vite que Marie-Louise, née en 1912 a eu un enfant très jeune, et s’est mariée dans la foulée en 1931. Là s’est déroulé 20ans d’une vie familiale classique. Malheureusement, elle perd son fils à l’âge de 24 ans et son mari décède 10 ans plus tard, et c’est là qu’on doit aller chercher au degré plus lointain, les héritiers.
Très vite nous faisons la découverte d’une sœur, Polette, sa cadette née en 1921, qui s’est mariée et qui a fait sa vie dans la Vienne à Poitiers, et elle était mère de sept enfants. Elle est décédée en 2008. Ce sont ses sept neveux et nièces qui viennent à la succession. Donc un dossier assez simple en apparence.
Fort de nos conclusions, place cette fois à l’inventaire. Il fait froid ce jour-là, le vent souffle dans la vallée du Rhône. On se présente devant une maison sans charme et qui normalement est endormie, et devant la maison stupeur, on voit de la lumière. On est quand même très très étonnés, malgré tout nous sonnons à la porte, et là très vite un vieux monsieur se présente à nous. Alors nous, très étonnés, on lui dit : « Nous sommes bien au domicile de Marie-Louise ? », « Oui », nous lui répondons « Mais qui êtes-vous ? », « Et bien Lucien, son ami. »
Il nous fait entrer, un vieux monsieur très tranquille qui nous fait asseoir dans sa cuisine surchauffée par un poêle. Il faisait une chaleur insupportable, et au mur, des photos de Marie-Louise.
Et là il nous raconte, il nous raconte sa vie. Il nous dit « Bien voilà, moi petit avec mes parents nous étions les voisins de Marie-Louise et son mari. », donc il la voyait très fréquemment, et dans un coin de sa tête il était fasciné par cette dame qui avait pourtant 20 ans de plus que lui. Et bon, elle était mariée donc voilà c’était un amour silencieux, et au décès de son époux, Lucien qui a 30 ans naturellement, il part habiter avec cette dame, avec Marie-Louise.
C’est un demi-siècle après, d’une vie commune et en toute discrétion, et comme nous nous avons retrouvé les héritiers de sang, se pose le problème juridique, c’est-à-dire que Lucien est un étranger aux yeux de la loi.
Donc très vite dans la conversation je dis « Mais Lucien, 50 ans de vie commune avec une personne, vous avez forcément signé des papiers, vous avez fait un testament. »
Alors là, Lucien assis sur sa chaise réfléchit, il se gratte la tête, il se lève difficilement. Il se dirige vers le buffet, dans le tiroir il me sort et il me tend le livret de famille de la défunte, et il me dit « Ouvrez », et là stupeur.
Sur la première page du livret de famille, une mention manuscrite, trois lignes très courtes : Je soussignée Marie-Louise, déclare Lucien comme mon héritier. C’est le petit de la maison, il m’a soigné pendant 39ans.
C’est unique, c’est la première fois en 25ans que je vois transcrit un testament sur un autre support qu’un papier dans une enveloppe, et donc de facto Lucien devient l’héritier.
Et la volonté de Lucien vraiment profonde, et il était très touchant ce jour-là, « Mon seul souhait, m’a-t-il dit, c’est de rester dans cette maison ma vie durant, je ne demande que ça. »
Le souci pour Lucien, c’est comme il est à 60 % de droits à payer, la seule solution c’est de vendre la maison parce que les liquidités ne sont pas suffisantes.
Donc la solution que l’on trouve, et on la soumet aux héritiers de sang, c’est dans l’immédiat, tant qu’il est vivant, de le laisser tranquille et de ne pas avancer dans la succession.
Et bien à l’unanimité ils sont tous d’accord. C’est pour ça que c’est un dossier qui m’a vraiment touché, et qui me touche encore, parce qu’il est unique. Il n’y avait aucun aspect financier, c’était vraiment de l’humanité pure.
Je suis moi-même originaire de Valence, et à ce titre chaque année lors des fêtes de Noël, nous nous réunissions autour de mes grands-parents, et pendant 3 années consécutives je me rendais auprès de Lucien, partager une clémentine, un peu de chocolat et un petit peu d’humanité. Voilà, et ça lui redonnait un peu le sourire.